À la frontière entre plusieurs disciplines – architecture, paysage, histoire, technicité, sciences humaines - le jardin en couverture s’établit sur le toit en terrasse d’un édifice. Il accueille des végétaux en étant à la fois dessus et dessous et en se servant de l’architecture comme nouveau sol. Il s’étire comme un manteau végétal, tout en abritant un espace habitable. Volonté religieuse, désir de représentation, besoin nourricier ou tout simplement contrainte spatiale liée à une forte densité, ce jardin est insolite, fragile et son existence aurait été impossible sans l’homme. Plus complexe à fabriquer, il semble en réalité avoir toujours existé.

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© Jan Pieper, Natur(Die) der Hängenden Gärten [The nature of Hanging Gardens], Daidalos, n°23, 1987, p.106

Il apparaît d’abord au Moyen-Orient puis se diffuse en Europe dès l’antiquité, et en premier lieu en Italie où d’importants ouvrages seront réalisés à la Renaissance. Il naît plus tardivement en France dans les hôtels particuliers parisiens (XVIIe et XVIIIe siècles). Probablement à cause de la complexité de la construction et des moyens de l’époque, les jardins en couverture restent des ouvrages exceptionnels, des pièces uniques et isolées. Leur réalisation est d’ailleurs souvent liée à la volonté d’affirmer une performance, d’extérioriser un pouvoir, religieux, politique, ou une puissance économique. Jardin régulier, à la française, comestible, petit bois ou prairie luxuriante, le végétal sur un toit crée des conditions qui n’existent nulle part ailleurs.

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© Jan Pieper, Natur(Die) der Hängenden Gärten [The nature of Hanging Gardens], Daidalos, n°23, 1987, p.107

À l’heure de nos préoccupations sociétales et environnementales, cet ouvrage interroge la distinction que font la plupart des conceptions urbaines visant à séparer le monde de la pierre et celui du vivant. Le jardin en couverture est la figure même de la réunion de ces entités. Elle nous intéresse particulièrement car elle pourrait constituer l’un des éléments de la ville résiliente, permettant à l’homme de renouer avec son milieu sans opposer cité et nature ; mais aussi parce qu’elle est l’occasion de questionner le projet architectural, la physionomie de la ville et sa relation au paysage. En effet, la limite qui définit habituellement le jardin est remise en cause par une frontière plus abstraite liée à la hauteur de l’ouvrage. En d’autres termes, le jardin positionné en couverture semble sortir de son enclosure, interrogeant la notion même de l’hortus conclusus.

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© Efthymios Warlamis, "Architektur der Hoffnung", in Friedensreich Hundertwasser, Das Haus Hundertwasser, Wien: Österreichischer Bundesverlag und Compress Verlag, 1985

Ces jardins montrent que l’installation du végétal sur le toit accompagne l’histoire de l’architecture depuis longtemps. Les exemples, aussi singuliers soient-ils, sont le fruit d’une extraordinaire détermination, bravant les complexités techniques et géographiques. Une volonté probablement inspirée par l’idée qu’un jardin en couverture n’est pas un jardin comme les autres, à la fois dans son appréhension, mais aussi dans la perception qu’il offre de l’horizon. »

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© Efthymios Warlamis, "Architektur der Hoffnung", in Friedensreich Hundertwasser, Das Haus Hundertwasser, Wien: Österreichischer Bundesverlag und Compress Verlag, 1985